Flashback

Publié le par Mamzelle Snouc

Je vous ai raconté quelques étapes qui a jalonné mon parcours professionnel. Voici la suite.


 Je prends mon poste d'infirmière principale : c'est entre une infirmière de base et la surveillante du service. Elle n'a pas de fonction d'encadrement, ni de rôle vraiment hiérarchique. Son rôle est de soulager la surveillante dans la gestion quotidienne du service : dossiers, visites, téléphone, transmissions..., elle est l'assistante, elle remplace la surveillante lors de ses congés, de ses réunions; en bref, c'est le bras droit sans être la tête.

Ça a l'air énorme, et ça en a aussi la chanson. Tout est différent : le rythme, les émotions, les responsabilités. Je change de badge, de code informatique, d'horaires, je gagne des RTT (non ? si si si !), 150 euros bruts de plus par mois (soit moins que ma paye de simple infirmière avec mes primes de WE en 12h) et des réunions à n'en plus finir.

Ma N+1 n'a pas pris de vacances depuis des mois et est trop contente de pouvoir m'abandonner au bout de 15 jours pour retrouver sa famille.

Vous me direz : "hé bien quoi? c'est quoi le problème ? Gérer un hôpital, c'est comme gérer un hôtel ! On fait les réservations des nuits dans les étages concernés, comme ça on sait, c'est mathématique !"

Ce n'est pas faux, la logistique s'en inspire, mais c'est inexact : l'hôpital n'est PAS un hôtel. On ne peut pas faire sortir les patients sur l'agenda. Nous traitons avec des êtres humains qui, par définition, ne sont pas des machines. Alors, certes, on peut programmer des sorties, des entrées, des transferts, on fait cela tous les jours. Seulement, on ne peut pas prévoir que la vieille dame du 4 qui est rentrée pour l'ablation d'un petit kyste au sein sortie le lendemain du geste opératoire, va mal cicatriser et est reprise au bloc dans la nuit pour une hémostase. Manque 1 lit !

Et chez moi, en chirurgie, on ne peut pas différer une intervention sous prétexte qu'on n'a plus de lit : la salle de bloc, l'équipe d'anesthésie, l'équipe chirurgicale sont  réservées. Il est très délicat d'appeler un patient chez lui pour lui annoncer que son intervention est reportée sine die car on ne peut pas l'accueillir. D'autant qu'il s'agit toujours de gestes impliquant sinon le pronostic vital des malades, du moins le diagnostic, avec anesthésie générale, et c'est souvent accompagné d'une préparation personnelle du patient qui se motive à se faire opérer. Alors, on bricole, on transfère un patient vers la médecine, on fait une admission le matin, on essaye d'organiser des sorties précoces. Je n'ai eu qu'une seule fois ce problème de report, et ce n'était pas une question de lit, mais de chirurgien, qui était vraiment trop indisposé pour assurer une intervention de 4 h, même s'il pouvait faire ses consultations. La patiente a rapidement accepté, d'autant que le pauvre faisait vraiment peine à voir et qu'il s'est déplacé pour s'excuser auprès d'elle.

J'ai commencé par adopter l'attitude Relations Publiques , ce qui m'a valu des commentaires moqueurs de la part de mes collègues, car j'ai acquis une voix suave et conciliante, surtout au téléphone, très hôtesse de l'air. Mine de rien, cela a souvent permis de faire tomber la pression, surtout lors d'échanges très agressifs avec certaines familles, auditivement très très inquiètes pour la santé et/ou le confort de leur proche. Cela m'a aussi aidé à créer un réseau, car, c'est bien connu, on aide plus facilement les personnes que l'on a identifiées que des inconnus.

J'ai poursuivi mes efforts en intégrant l'organigramme de mon établissement, le nom des secrétaires, des médecins, des surveillantes, des responsables de services jamais croisés jusqu'alors : facturation, consultations, direction, bloc, anesthésie, rendez-vous, pharmacie, magasin, transversaux (douleurs, palliatifs), atelier, informatique, radiothérapie...et donc l'annuaire téléphonique qui va avec. Ne cherchez pas, même à l'ère d'Internet qui nous a pourtant bien facilité les choses, les responsables passent leur temps au téléphone. Pour ma part, à 14h, mon sans-fil est déjà déchargé et 2/3 des appels viennent de l'extérieur : familles, médecin traitant, réseaux de soins à domicile, collègues et amis du patient...

Enfin, j'ai du changer de lunettes, sûrement le plus difficile, et passer du statut de soignant à celui de soignant et responsable. Cela implique de garder les pieds sur terre et de porter son regard plus loin. C'est ce rôle dit transversal qui est le plus épuisant, mais aussi le plus passionnant. Je n'ai plus 6 ou 8 patients à charge, mais 18 + les entrants + les externes + les consultations + les ambulatoires. Je dois être au courant de tout, connaître au mieux tous les dossiers et pouvoir répondre aux questions pressantes et pressées de l'équipe médicale. Je considère que c'est un rôle de lien, de mise en relation. Je ne remplace ni le cadre de santé, ni les infirmières.

J'ai gagné une reconnaissance institutionnelle (mouais  , le directeur connaît mon prénom parce que je l'ai contredit en pleine réunion sur l'accréditation et c'est sur moi que hurle la chef du bloc quand une patiente y arrive avec sa petite culotte, c'est dire le super statut), des droits (j'peux commander des stups !), et aussi des devoirs : recevoir assez aimablement les visiteurs médicaux pour les éconduire efficacement, soulager la pression d'une grande visite quand le chef de service est furax et refuse d'entrer dans les chambres, écouter les doléances de l'équipe qui n'aime pas son planning/ le nouvel anesthésiste/ la famille du 12/ le nouveau cathéter/la musique de la radio et tenter d'y remédier...Ça aide à alimenter son humilité et sa réserve.

J'ai surtout gagné de la maturité professionnelle et un plus grand respect pour ma hiérarchie. J'ai un certain pouvoir gestionnaire, qui est heureusement limité à des tâches administratives : codifier de l'activité de soins, facturer des chambres particulières ou faire des bons de prise en charge pour des gestes extérieurs (tout un poème informatique). J'ai appris à garder à l'esprit la limite de mon poste, ce qui n'est pas évident pour moi. On apprend rapidement à tenir sa langue et à synthétiser ses propos, étayés et ciblés. Au départ, mes transmissions écrites à ma supérieure lors de ses absences prenaient plusieurs pages. Désormais, elles tiennent sur un Post-it.

 Je sais désormais que la tâche de cadre de santé ne me correspond pas mais qu'un simple poste ne me suffit pas. Jamais contente !

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