Trafic d'influence 2
Les trafiquants d'influence...
Eux, ils ne prennent pas de gants pour taper au plus haut. De toute façon, ils ont connu bibliquement l'épouse de l'ancien chef de cabinet du préfet, ou ils ont fait l'armée avec le directeur de l'hôpital, ou ils sont du ministère, vous comprenez...Alors quand le directeur se scandalise qu'on fasse sortir madame Tartempion, qui aurait déjà dû rentrer chez elle depuis 3 jours si la famille n'avait pas été aussi ch..., on Sait. On sait que le grand trafic a commencé. On sait que la bataille sera rude, entre notre éthique et le pouvoir du Grand Vizir.
La première demande est quasiment toujours une CP. La seconde, de rester le plus longtemps possible dans une de nos chambres avec vue à 1469 euros la nuit (prix de l'hospitalisation, réglée par la sécu, hors forfait hospitalier). Quitte à annuler dans notre dos les places de convalescence obtenues après des heures de rédaction de dossier et de négociation auprès de structures parce que ce sera en chambre double. Quitte à menacer de poursuites judiciaires, de licenciement. Quitte à nous faire convoquer par la direction car on a raccroché au nez de Monsieur (parce qu'on pratiquait une réanimation avec intubation et massage cardiaque à quatre pattes dans une salle de bain). Quitte à faire admettre ladite mère de Monsieur un samedi après-midi, sous un prétexte fallacieux, profitant d'une entente avec le médecin de garde qui a trouvé un coin tranquille, juste avant que les entrées programmées n'arrivent.
Le problème est que cela ne s'arrête jamais. Et que, malgré toute notre bonne volonté et la compréhension de l'inquiétude de la famille, on en arrive à ne plus vouloir entrer dans la chambre. On note tout, les mots, les heures, les appels téléphoniques. On s'arrange pour être toujours accompagnées de témoins lors des entretiens, on pèse nos mots, on parle doucement, on essaye de faire le tri entre les émotions et la réalité, entre l'agressivité et l'inquiétude, entre l'empressement à satisfaire une demande et l'art de susurrer une insulte. Ça prend du temps et de l'énergie. Le personnel soignant est très sensible à la considération. Ne pas dire bonjour ou critiquer ouvertement l'organisation du service quand on n'y connaît rien, et encore plus quand on croit connaître, ça blesse l'équipe. Ça la mine. Elle se remet en question, même si elle agit convenablement. Elle veut soigner quand même, mais des fois, c'est trop dur. L'une des dernières qui m'a fait ce tour a vu la fréquence de passage dans sa chambre diminuer de moitié. Mes collègues et moi aimons passer au moins toutes les deux heures, pour voir si tout va bien, si ils n'ont pas mal. Elle, elle était tellement hautaine et sûre de son bon droit que lui parler revenait à se cracher dessus soi même.
C'est bien là le dilemme : Ils supplient pour avoir une place, et dès qu'ils l'ont, ils détruisent toute relation thérapeutique par la méfiance et le mépris. (Quand ils n'essayent pas de m'entourlouper oh ben non, je l'ai jamais demandé la CP ! ou de toute façon, presque toutes les chambres du service sont des CP, alors je vois pas pourquoi je paierai !)
La fille d'une des mes patientes, charmante patiente au demeurant, travaille dans les hautes sphères de la santé, et n'a rien trouvé de mieux que d'alerter la direction sur le fait qu'on allait se débarrasser de sa mère, en médecine, au service du dessous. Entrée un vendredi soir en "urgence" pour une déshydratation simple, alors qu'on nous annonçait une subocclusion (chose qui peut bien devenir gravissime si on attend trop), elle est un cas dit médical, et non chirurgical, donc, transfert en médecine. Seulement, les chambres du service de Médecine sont moins récentes, plus sombres, et surtout, à 2 lits. Ni une, ni deux, après appel désespéré à la direction, un cadre de santé est dépêché dans le futur service d'accueil pour examiner la chambre et voir si elle correspond au standing demandé. Levée de boucliers unanime des deux services, criant à l'ingérence et à la discrimination. Les esprits se calmeront vite, mais je n'ai pas pu m'empêcher de dire en face à la fille qu'on ne pouvait pas à la fois être soignant et parent, et que si elle ne faisait pas confiance à l'équipe, elle pouvait prendre sa mère sous le bras et partir, le tout très diplomatiquement, bien sûr. Elle a ri, et a fait un mea culpa pas très sincère. Elle récidivera, c'est sûr, mais plus chez moi, c'est déjà ça.
Petite précision importante : je ne remets pas en cause la réaction de la direction. Elle ne connait pas toujours tous les détails de l'affaire, et joue surtout un rôle de médiation. Cette fois ci, c'était vraiment maladroit. Ooooops !
Une autre prérogative des trafiquants est d'être au dessus des lois. Le médecin de Madame, que je ne connais ni d'Adam ni d'Eve,, veut des résultats d'ana-pathologie au téléphone immédiatement.
1) C'est sûr que ce n'est pas le plombier ? Impossible de connaître l'identité d'un interlocuteur par téléphone.
2) Je ne suis pas habilitée à donner ce type de renseignement. C'est un rôle strictement médical.
3) Le secret médical est assez simplement défini : entre professionnels de santé, il ne peut être partagé qu'avec l'accord du patient, dans l'intérêt de la prise en charge. Alors, s'il n'est pas sur la liste des référents, nada, même par courrier. En plus, il y a très peu de retard dans les compte-rendus chez moi, notre pool de secrétaires est très efficace et tout est informatisé. Que Madame soit l'épouse du PR XYZ n'y change rien. Même position si c'est le Pr XYZ qui les demande, rien n'oblige Madame à lui communiquer ses résultats. Le médecin du service fera ce qu'il voudra, ça ne viendra pas de moi.
Deuxième cas de figure : les visites. Me W. est en CP, c'est comme l'hôtel, elle peut recevoir qui elle veut, comme elle veut. Et il faut lui rappeler le règlement intérieur qui stipule les horaires de visites, les conditions de stockage des aliments périssables (comment, je ne peux pas laisser mon saumon fumé sur la fenêtre ?) et le respect des autres patients. Une patiente avait pleuré dans le giron du chef de service pour qu'on la change de chambre (une CP déjà) parce que son voisin, en pré-DT, faisait trop de bruit et perturbait sa sieste. Elle a oublié que l'hôpital, ce n'est pas fait pour se reposer. Elle est restée dans sa chambre.
C'est la sagesse populaire qui résume le mieux : "on est jamais satisfait de ce que l'on a".
Ne croyez pas que nous ne traitons que de Monsieur- Madame. La très grande majorité de nos patients sont des êtres humains très fréquentables et souvent très compréhensifs.
En plus, le retour en force des chambres à deux lits est annoncé ! Les patients disent qu'ils ont moins peur, et que c'est plus convivial !
Demain : Profiteurs ordinaires
Eux, ils ne prennent pas de gants pour taper au plus haut. De toute façon, ils ont connu bibliquement l'épouse de l'ancien chef de cabinet du préfet, ou ils ont fait l'armée avec le directeur de l'hôpital, ou ils sont du ministère, vous comprenez...Alors quand le directeur se scandalise qu'on fasse sortir madame Tartempion, qui aurait déjà dû rentrer chez elle depuis 3 jours si la famille n'avait pas été aussi ch..., on Sait. On sait que le grand trafic a commencé. On sait que la bataille sera rude, entre notre éthique et le pouvoir du Grand Vizir.
La première demande est quasiment toujours une CP. La seconde, de rester le plus longtemps possible dans une de nos chambres avec vue à 1469 euros la nuit (prix de l'hospitalisation, réglée par la sécu, hors forfait hospitalier). Quitte à annuler dans notre dos les places de convalescence obtenues après des heures de rédaction de dossier et de négociation auprès de structures parce que ce sera en chambre double. Quitte à menacer de poursuites judiciaires, de licenciement. Quitte à nous faire convoquer par la direction car on a raccroché au nez de Monsieur (parce qu'on pratiquait une réanimation avec intubation et massage cardiaque à quatre pattes dans une salle de bain). Quitte à faire admettre ladite mère de Monsieur un samedi après-midi, sous un prétexte fallacieux, profitant d'une entente avec le médecin de garde qui a trouvé un coin tranquille, juste avant que les entrées programmées n'arrivent.
Le problème est que cela ne s'arrête jamais. Et que, malgré toute notre bonne volonté et la compréhension de l'inquiétude de la famille, on en arrive à ne plus vouloir entrer dans la chambre. On note tout, les mots, les heures, les appels téléphoniques. On s'arrange pour être toujours accompagnées de témoins lors des entretiens, on pèse nos mots, on parle doucement, on essaye de faire le tri entre les émotions et la réalité, entre l'agressivité et l'inquiétude, entre l'empressement à satisfaire une demande et l'art de susurrer une insulte. Ça prend du temps et de l'énergie. Le personnel soignant est très sensible à la considération. Ne pas dire bonjour ou critiquer ouvertement l'organisation du service quand on n'y connaît rien, et encore plus quand on croit connaître, ça blesse l'équipe. Ça la mine. Elle se remet en question, même si elle agit convenablement. Elle veut soigner quand même, mais des fois, c'est trop dur. L'une des dernières qui m'a fait ce tour a vu la fréquence de passage dans sa chambre diminuer de moitié. Mes collègues et moi aimons passer au moins toutes les deux heures, pour voir si tout va bien, si ils n'ont pas mal. Elle, elle était tellement hautaine et sûre de son bon droit que lui parler revenait à se cracher dessus soi même.
C'est bien là le dilemme : Ils supplient pour avoir une place, et dès qu'ils l'ont, ils détruisent toute relation thérapeutique par la méfiance et le mépris. (Quand ils n'essayent pas de m'entourlouper oh ben non, je l'ai jamais demandé la CP ! ou de toute façon, presque toutes les chambres du service sont des CP, alors je vois pas pourquoi je paierai !)
La fille d'une des mes patientes, charmante patiente au demeurant, travaille dans les hautes sphères de la santé, et n'a rien trouvé de mieux que d'alerter la direction sur le fait qu'on allait se débarrasser de sa mère, en médecine, au service du dessous. Entrée un vendredi soir en "urgence" pour une déshydratation simple, alors qu'on nous annonçait une subocclusion (chose qui peut bien devenir gravissime si on attend trop), elle est un cas dit médical, et non chirurgical, donc, transfert en médecine. Seulement, les chambres du service de Médecine sont moins récentes, plus sombres, et surtout, à 2 lits. Ni une, ni deux, après appel désespéré à la direction, un cadre de santé est dépêché dans le futur service d'accueil pour examiner la chambre et voir si elle correspond au standing demandé. Levée de boucliers unanime des deux services, criant à l'ingérence et à la discrimination. Les esprits se calmeront vite, mais je n'ai pas pu m'empêcher de dire en face à la fille qu'on ne pouvait pas à la fois être soignant et parent, et que si elle ne faisait pas confiance à l'équipe, elle pouvait prendre sa mère sous le bras et partir, le tout très diplomatiquement, bien sûr. Elle a ri, et a fait un mea culpa pas très sincère. Elle récidivera, c'est sûr, mais plus chez moi, c'est déjà ça.
Petite précision importante : je ne remets pas en cause la réaction de la direction. Elle ne connait pas toujours tous les détails de l'affaire, et joue surtout un rôle de médiation. Cette fois ci, c'était vraiment maladroit. Ooooops !
Une autre prérogative des trafiquants est d'être au dessus des lois. Le médecin de Madame, que je ne connais ni d'Adam ni d'Eve,, veut des résultats d'ana-pathologie au téléphone immédiatement.
1) C'est sûr que ce n'est pas le plombier ? Impossible de connaître l'identité d'un interlocuteur par téléphone.
2) Je ne suis pas habilitée à donner ce type de renseignement. C'est un rôle strictement médical.
3) Le secret médical est assez simplement défini : entre professionnels de santé, il ne peut être partagé qu'avec l'accord du patient, dans l'intérêt de la prise en charge. Alors, s'il n'est pas sur la liste des référents, nada, même par courrier. En plus, il y a très peu de retard dans les compte-rendus chez moi, notre pool de secrétaires est très efficace et tout est informatisé. Que Madame soit l'épouse du PR XYZ n'y change rien. Même position si c'est le Pr XYZ qui les demande, rien n'oblige Madame à lui communiquer ses résultats. Le médecin du service fera ce qu'il voudra, ça ne viendra pas de moi.
Deuxième cas de figure : les visites. Me W. est en CP, c'est comme l'hôtel, elle peut recevoir qui elle veut, comme elle veut. Et il faut lui rappeler le règlement intérieur qui stipule les horaires de visites, les conditions de stockage des aliments périssables (comment, je ne peux pas laisser mon saumon fumé sur la fenêtre ?) et le respect des autres patients. Une patiente avait pleuré dans le giron du chef de service pour qu'on la change de chambre (une CP déjà) parce que son voisin, en pré-DT, faisait trop de bruit et perturbait sa sieste. Elle a oublié que l'hôpital, ce n'est pas fait pour se reposer. Elle est restée dans sa chambre.
C'est la sagesse populaire qui résume le mieux : "on est jamais satisfait de ce que l'on a".
Ne croyez pas que nous ne traitons que de Monsieur- Madame. La très grande majorité de nos patients sont des êtres humains très fréquentables et souvent très compréhensifs.
En plus, le retour en force des chambres à deux lits est annoncé ! Les patients disent qu'ils ont moins peur, et que c'est plus convivial !
Demain : Profiteurs ordinaires